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Al Jazeera et la fermeture : points forts et failles. Rapport exclusif de PNN

Publié le: 09-01-2025 | Politique
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Bethléem - Reportage spécial par Munjed Jado, Rédacteur en chef de PNN

La récente décision de l'Autorité palestinienne de fermer les bureaux d'Al Jazeera et de bloquer ses plateformes en ligne en Palestine a suscité un débat houleux sur le professionnalisme et l'éthique journalistique de la chaîne. Al Jazeera, réseau qatari de renommée mondiale, joue depuis longtemps un rôle important dans la couverture des actualités en Palestine, dans le monde arabe et au-delà, bénéficiant d’un financement de plusieurs milliards de dollars.

Dans sa quête de journalisme objectif, PNN a sollicité l’avis d’experts en médias en Palestine et dans le monde arabe afin d’évaluer le travail d’Al Jazeera sur le terrain palestinien. Ce rapport d’enquête met en lumière les forces et les faiblesses de la chaîne, telles qu’elles sont perçues par des professionnels chevronnés.

Udouble personnalité : reportage de terrain et ligne éditoriale

Le journaliste renommé Daoud Kuttab a salué l’excellence des reportages de terrain d’Al Jazeera en Palestine, soulignant le courage et le dévouement de ses équipes. « Leurs correspondants sur le terrain ont fourni une couverture inégalée de l’agression israélienne contre les Palestiniens, souvent au péril de leur vie », a-t-il déclaré.

Cependant, Kuttab a relevé une contradiction flagrante entre le travail des reporters sur le terrain et la ligne éditoriale de la chaîne. « Bien que les reporters soient professionnels et courageux, la ligne éditoriale trahit souvent un agenda politique préétabli », a-t-il expliqué, appelant à une transparence accrue dans les politiques éditoriales. Il s’est opposé à la censure, préconisant un engagement critique avec la chaîne pour atténuer les biais sans recourir à des interdictions.

Critiques acerbes du Syndicat des journalistes palestiniens

Mohammed Abd al-Nabi Lahham, président de la Commission des libertés du Syndicat des journalistes palestiniens, a accusé Al Jazeera de s’éloigner de l’éthique journalistique au profit d’un militantisme politique. « La chaîne n’est plus seulement une plateforme d’information, mais un acteur actif dans la promotion de l’agenda des Frères musulmans », a déclaré Lahham dans une interview accordée à PNN.

Il a critiqué Al Jazeera pour ses reportages biaisés et son recours à une narration provocatrice, notamment dans sa rédaction basée au Qatar. « Leurs reportages favorisent ouvertement une faction au détriment d’une autre, alimentant la division au lieu de promouvoir le dialogue », a-t-il ajouté.

Lahham a également condamné l’utilisation par la chaîne de reconstitutions dramatisées et de techniques de narration artificielles, qualifiant ces pratiques de « honte pour le journalisme professionnel ». Selon lui, ces représentations sapent la confiance dans les médias et aggravent les divisions sociétales.

Un mépris des lois et institutions locales

Le syndicat a également reproché à Al Jazeera son manque de respect pour les lois et institutions palestiniennes. « La chaîne évite de collaborer avec le Syndicat des journalistes ou de reconnaître ses efforts pour protéger la liberté de la presse, même face à des répressions violentes contre les journalistes », a déclaré Lahham.

Il s’est interrogé sur la possibilité qu’Al Jazeera adopte un comportement similaire au Qatar, où les régulations médiatiques sont strictement appliquées. « Le respect des lois locales et des normes culturelles est une obligation non négociable pour tout média étranger opérant en Palestine », a-t-il insisté.

Appels à la responsabilité

Le formateur en médias Walid Batrawi a proposé une approche plus constructive pour aborder les lacunes perçues d’Al Jazeera. « Plutôt que de la fermer, les autorités devraient rassembler des preuves de manquements professionnels et les présenter à la chaîne », a suggéré Batrawi.

Il a cité un incident précis où Al Jazeera aurait utilisé des images générées par intelligence artificielle pour représenter les forces de sécurité palestiniennes de manière négative. « De telles manipulations érodent la confiance dans le journalisme et doivent être traitées par le dialogue et une critique fondée sur des preuves », a-t-il ajouté.

Trouver un équilibre

Alors que le débat se poursuit, les experts s’accordent à dire que fermer Al Jazeera n’est pas la solution. Bien que la chaîne ait joué un rôle essentiel pour amplifier les voix palestiniennes, ses biais perçus et ses manquements éthiques nécessitent un examen attentif. Le défi réside dans la promotion de la responsabilité tout en préservant les libertés médiatiques, un équilibre délicat dans un contexte hautement politisé.

Le Syndicat des journalistes palestiniens reste fermement engagé à promouvoir un journalisme éthique et à préserver la liberté de la presse, appelant tous les médias, y compris Al Jazeera, à respecter des normes professionnelles et à tenir compte du tissu social de la Palestine.

Sensationalisme et incitation : des outils controversés

Concernant l’utilisation présumée par Al Jazeera d’outils de sensationnalisme et d’incitation, le formateur en médias Walid Batrawi explique que ces concepts reposent sur la présentation d’éléments nouveaux, intrigants ou inhabituels, comme une invention ou un événement inédit. Le sensationnalisme, dans ce contexte, vise à susciter l’intérêt plutôt qu’à provoquer des instincts ou des tendances agressives. L’incitation, quant à elle, consiste à influencer l’opinion publique pour susciter une action ou une réaction à partir de contenus journalistiques. Par exemple, dans la publicité, l’objectif est d’inciter les consommateurs à acheter un produit.

En ce qui concerne les reportages sur les conflits, tels que les récents événements dans le camp de réfugiés de Jénine, Batrawi souligne que le rôle des médias est de rapporter les faits avec précision, sans exagération, distorsion, omission ou contenu non vérifié. Malheureusement, de telles pratiques ont été constatées à Jénine. Selon lui, l’incitation réside dans la présentation d’un récit unique, souvent illustré par des intervenants répétant une version homogène des événements.

Batrawi a également critiqué l’approche d’interview d’Al Jazeera, notamment l’interruption du porte-parole de la sécurité palestinienne. Il a insisté sur le fait que tout invité a le droit de refuser une interview s’il n’est pas informé à l’avance de la participation d’autres intervenants. Notifier les invités sur les autres participants est une exigence professionnelle fondamentale pour tout média. Le défaut de cette notification lors de l’entretien avec le porte-parole de la sécurité a révélé une lacune professionnelle.

Scènes dramatisées : un modèle de partialité ?

Mohammad Lahham, président du Comité des libertés du Syndicat des journalistes palestiniens, a exprimé des inquiétudes quant à l’utilisation par Al Jazeera de scènes dramatisées. Ces productions, nécessitant des mois de préparation et d’exécution, semblent refléter une stratégie délibérée visant à nuire à l’Autorité palestinienne, au Fatah et à d’autres factions relevant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Lahham a qualifié ces pratiques d’attaque flagrante contre le Fatah par le biais de reportages et de sketches théâtraux, révélant une nouvelle tendance troublante dans les médias d’information.

Bien que les sketches dramatiques puissent servir d’outil critique, Lahham a averti qu’ils risquent de franchir les limites éthiques, se transformant en moyens d’incitation, une pratique qu’il juge inacceptable.

L’équilibre entre satire et incitation

Widad Jarbou’, chercheuse en libertés médiatiques à la Fondation Samir Kassir au Liban, a souligné le rôle majeur d’Al Jazeera dans la couverture de la récente guerre à Gaza. La couverture continue des violations israéliennes par la chaîne constitue un accomplissement notable. Concernant les tensions internes à Jénine et dans son camp de réfugiés, Jarbou’ a noté qu’Al Jazeera a invité des intervenants représentant à la fois les forces de sécurité palestiniennes et les résidents du camp, témoignant ainsi d’une tentative professionnelle de fournir une couverture équilibrée.

Sur la question des contenus dramatisés, Jarbou’ a expliqué que la comédie et la satire occupent une place particulière dans la société, servant souvent d’outils critiques. Cependant, cette expression créative doit maintenir un équilibre entre liberté et intégrité éthique, en particulier lorsqu’il s’agit de questions politiques et sociales sensibles. La satire devient problématique lorsqu’elle passe d’un moyen d’expression à un outil d’incitation ou de discours de haine.

Jarbou’ a insisté sur la responsabilité des journalistes et des médias dans la couverture des conflits. Le professionnalisme et l’éthique doivent guider leur travail afin de favoriser la compréhension et de promouvoir le dialogue comme alternative à la violence. Une couverture biaisée, le sensationnalisme et l’incitation risquent d’aggraver les tensions et de saper les efforts en faveur d’un discours constructif.

La question de la liberté de la presse

Widad Jarbou’, chercheuse en libertés médiatiques à la Fondation Samir Kassir, a souligné que la liberté de la presse doit être protégée par le respect des normes professionnelles. Cela inclut la diffusion de nouvelles précises, opportunes et équilibrées, tout en évitant les rumeurs ou les désinformations. Elle a critiqué les pratiques qui propagent des discours de haine ou des accusations de trahison, affirmant que de tels comportements dépassent les limites de la liberté d'expression.

Les experts s'accordent à dire que la fermeture ou le blocage de médias, comme Al Jazeera, ne constitue pas une solution idéale. Un représentant de Reporters sans frontières a souligné que les autorités devraient traiter les plaintes par le biais du système judiciaire plutôt que par des fermetures. Jarbou’ a ajouté que de telles mesures devraient rester exceptionnelles, respecter des cadres juridiques clairs et défendre les droits humains et la liberté d'expression. Une censure excessive pourrait encourager l'autocensure parmi les journalistes, nuisant ainsi à la liberté de la presse et à la réputation du pays.

Daoud Kuttab, journaliste chevronné, a décrit la suspension d'Al Jazeera par le gouvernement palestinien comme un dilemme complexe. Bien que des critiques légitimes aient été formulées à l’encontre des pratiques éditoriales de la chaîne, notamment l’utilisation de l’intelligence artificielle dans certains reportages, Kuttab a insisté sur la nécessité de peser soigneusement les implications plus larges de telles décisions. Il a suggéré de distinguer entre la division d'information d'Al Jazeera, qui a grandement contribué à la narration palestinienne, et ses autres programmes. Des boycotts sélectifs ou des actions ciblées auraient constitué une approche plus équilibrée.

L’importance des médias palestiniens indépendants

Pour contrer les récits susceptibles de nuire aux intérêts palestiniens, les experts ont souligné la nécessité de développer des médias palestiniens forts et indépendants. Kuttab a insisté sur l’importance de soutenir les médias indépendants en leur fournissant des informations exclusives et des ressources, leur permettant ainsi de devenir des sources crédibles pour le public.

Walid Batrawi, formateur en médias, a évoqué la domination des médias partisans en Palestine, un héritage des factions politiques publiant des journaux pour diffuser leurs idéologies. Cette tendance persiste aujourd’hui avec les plateformes modernes. Il a déploré que même la télévision officielle palestinienne soit devenue partisane, affaiblissant sa capacité à concurrencer les médias extérieurs.

Jarbou’ a appelé à un dialogue constructif entre les parties prenantes pour créer des récits médiatiques alternatifs, permettant au public d’évaluer le contenu de manière critique. Elle a souligné que l’opinion publique devrait être le juge ultime pour déterminer si un contenu est biaisé ou incitatif.

Conclusion

Les points de vue des experts révèlent plusieurs enseignements clés. Bien qu'Al Jazeera ait commis des erreurs éditoriales, la décision de fermer ses bureaux reste injustifiée. Les différends devraient être résolus par le dialogue et des voies légales, avec la reconnaissance mutuelle des erreurs. Un paysage médiatique constructif et impartial est essentiel pour favoriser la compréhension et aborder les questions complexes de manière professionnelle.

 

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