Jénine (Territoires palestiniens), PNN – Par Yara Mansour
Sur les collines verdoyantes du Marj Ibn Amer, au nord de la Cisjordanie, Manar Shaaban veille sur sa ferme “Beit al-Qar’iyyat” – littéralement “La Maison des Courges”. Ce qui n’était au départ qu’un modeste projet de jardin potager est devenu, en quelques années, une exploitation agricole florissante, un site d’agrotourisme et un lieu d’autonomisation pour des dizaines de femmes rurales.
Installée depuis quatre ans dans le village d’al-Jalama, près de Jénine, cette passionnée de nature a commencé par cultiver des courges dans sa cour, sous serre, sans produits chimiques ni pesticides. Aujourd’hui, elle exploite quelque 140 dounams (environ 35 hectares), sur des terres agricoles menacées de confiscation.
« En 2010, je fabriquais et vendais de la confiture de courge. Mais un conflit avec une société de distribution a mis fin au projet. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de relancer l’activité à ma manière », raconte-t-elle à l’Agence Palestine News Network (PNN).
De la terre à la transformation
Pour s’émanciper du joug des intermédiaires, Manar ne s’est pas limitée à la culture. Elle a créé une unité de transformation artisanale produisant confitures, courges séchées ou surgelées, soupes naturelles et boissons santé, le tout en circuit court.
Son mari participe aux travaux agricoles – labour, fertilisation, irrigation –, tandis qu’elle assure les récoltes, épaulée par leurs enfants. Le projet reçoit également l’appui du ministère palestinien de l’Agriculture et d’organisations promouvant une agriculture durable et l’économie féminine.
Aujourd’hui, près de 40 femmes cultivent, sur la ferme ou autour, diverses variétés de légumes : feuilles vertes, tomates, haricots, concombres et courges. Certaines s’occupent aussi de la transformation alimentaire.
« Pour me démarquer, j’ai commencé à collecter des semences rares. Je cultive désormais neuf variétés différentes de courges », dit-elle.
Une échappée verte pendant le confinement
Durant la pandémie de Covid-19, le projet a connu un essor inattendu. De nombreux Palestiniens, lassés du confinement urbain, ont trouvé refuge dans la nature. Le site est rapidement devenu une destination prisée pour les promenades et les repas champêtres, dans un cadre bucolique.
« Il manquait un lien direct entre le producteur et le consommateur. C’est ce vide que j’ai voulu combler en créant cet espace », explique Manar. Elle aide aujourd’hui 14 femmes à vendre leurs produits directement, sans passer par les circuits commerciaux classiques.
Apprendre pour réussir
Pour pérenniser son initiative, Manar et les femmes qui l’accompagnent ont suivi des formations dans des institutions soutenant les projets féminins et l’agriculture écologique. « On travaille aujourd’hui selon des bases scientifiques, plus du tout au hasard, et ça change tout », dit-elle.
Poussant l’engagement environnemental encore plus loin, elle a installé près de sa cuisine un biodigesteur capable de transformer les déchets organiques – épluchures de courges, pelures de pommes de terre – en compost liquide et en gaz de cuisson.
« Tous les trois jours, on produit 20 litres de fertilisant naturel et environ 4 heures de gaz de cuisine », précise-t-elle.
Produits du terroir et douceurs à la courge
La ferme offre également un large éventail de produits agricoles et artisanaux : légumes bio, freekeh (blé vert), boulghour, fromage, labné, ainsi qu’une gamme sucrée à base de courge. Sept femmes y préparent chaque jour des repas traditionnels pour les visiteurs, tandis que 19 autres écoulent leurs marchandises sur place.
Parmi les spécialités : confiture de courge en morceaux ou écrasée, courge séchée surnommée localement “gelati”, smoothies à la courge et à la betterave sans sucre, servis gratuitement aux patients atteints de cancer. Et la fameuse "zalabiya à la courge", une pâtisserie frite de Naplouse farcie de purée de courge et de fruits secs.
Les couleurs vives des courges – du vert au noir, en passant par l’orange et le jaune – font aussi du lieu un décor de plus en plus recherché pour des séances photo, notamment pour les nouveau-nés.
Réseau de distribution et formation
Les produits de “Beit al-Qar’iyyat” sont vendus dans plusieurs points fixes à Ramallah (chez Be Mwares), Jénine (We Can) et Tubas (Beit al-Mouneh), ainsi qu’à Shfaram, au nord d’Israël. Un réseau de jeunes diplômées en marketing commercialise également les produits sur les réseaux sociaux, via Facebook et Instagram.
« Je leur confie les produits en dépôt-vente. Elles ne me règlent que ce qu’elles réussissent à vendre. C’est plus juste que de traiter avec de gros commerçants », souligne-t-elle.
La ferme a reçu plusieurs certifications en contrôle qualité, transformation alimentaire et agriculture sans intrants chimiques. Elle a aussi lancé une “école de terrain” pour former 16 femmes aux techniques agricoles durables, sous supervision d’ingénieurs agronomes.
Un message aux femmes palestiniennes
Avant de clore l’entretien, Manar Shaaban adresse un message aux femmes palestiniennes :
« Vous pouvez créer votre succès, le nourrir et le faire grandir. Parfois, il faut commencer par faire ce qu’on n’aime pas, pour finir par exceller dans ce qu’on aime. Le travail n’est jamais une honte. »
Ce reportage a été réalisé dans le cadre du programme Qarib, mis en œuvre par l’agence française de développement des médias CFI, avec le soutien financier de l’Agence française de développement (AFD).
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