Cisjordanie occupée / PNN / Reportage de Yara Mansour et Muna Amarna
En Cisjordanie, les Palestiniens subissent quotidiennement des difficultés et des retards dus à une vaste infrastructure militaire israélienne : plus de 1 000 checkpoints permanents et environ 200 portails ont transformé villes, villages et camps de réfugiés en enclaves isolées — un système que beaucoup qualifient de « prison à ciel ouvert ».
Ces checkpoints, disséminés entre zones urbaines et rurales, sont devenus synonymes de souffrance et de frustration continues. Les Palestiniens y attendent souvent pendant des heures, que ce soit à l'entrée ou à la sortie des villes. Les scènes sont devenues banales : longues files d’attente, fouilles de véhicules, harcèlement verbal ou physique de la part des soldats israéliens — parfois même des violences.
D'après les chiffres officiels, les Palestiniens perdent environ 60 millions d’heures de travail par an à cause de ces retards, ce qui constitue un fardeau économique considérable pour une économie déjà fragile.
Pour illustrer cette réalité sur le terrain, la journaliste de PNN Yara Mansour a réalisé un reportage capturant les effets de ces barrières militaires sur le quotidien palestinien.
Des retards qui ruinent des moyens de subsistance
Shadwan Abu Sneineh, un marchand de légumes originaire de Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, témoigne de l’impact sur son activité.
« Transporter les légumes du nord vers Hébron est devenu un cauchemar », confie-t-il. « On attend souvent entre une et quatre heures aux checkpoints, en plein soleil. Les retards détériorent la qualité des produits, et parfois ils pourrissent complètement, surtout l'été quand ils restent enfermés dans des camions pendant des heures. »
Il cite notamment le checkpoint de Hamra, dans la vallée du Jourdain, connu pour ses températures extrêmes et ses retards chroniques qui nuisent gravement aux denrées périssables.
Le transport public dans une impasse permanente
Les conducteurs de transports publics ne sont pas épargnés. Abed Ahmad, chauffeur de minibus entre Naplouse et Jénine, explique que les barrages ont bouleversé leurs itinéraires et leur rythme de travail.
« Le checkpoint de Deir Sharaf, par exemple, est souvent fermé ou embouteillé, ce qui nous oblige à emprunter des déviations longues et non asphaltées », dit-il. « Et puis il y a le checkpoint de Homesh, récemment rétabli, qui est fréquemment fermé. On est parfois contraints de grimper à pied sur les collines rocailleuses de Bazariya pour rejoindre Naplouse. C’est épuisant, coûteux et chronophage — pour nous comme pour les passagers. »
Une stratégie de fragmentation
Selon les experts, ces checkpoints ne sont pas de simples installations militaires, mais font partie d'une politique israélienne systématique visant à fragmenter la Cisjordanie, entraver la connectivité palestinienne, et faciliter une annexion de facto.
L’analyste politique Fares Jaradat souligne que la prolifération des barrages a déconnecté les villes palestiniennes les unes des autres.
« Chaque ville est désormais isolée. Jénine, Hébron, Ramallah fonctionnent comme des enclaves déconnectées », explique-t-il. « Cela correspond à la vision stratégique de l’orientaliste israélien Mordechai Kedar, qui propose de transformer les villes palestiniennes en huit "émirats" indépendants, chacun coupé de ses villages environnants. »
Jaradat met en garde : ce qui était autrefois une théorie est désormais testé sur le terrain, facilité par la séparation physique, le contrôle militaire et des manœuvres juridiques.
Bien plus que des checkpoints — des outils de domination
Pour les Palestiniens, ces checkpoints ne sont pas de simples contrôles aux frontières : ce sont des instruments de domination qui étouffent la vie quotidienne. Ils signifient des journées de travail perdues, des études interrompues, des soins médicaux retardés, et un sentiment permanent d’humiliation et de peur.
« Les checkpoints ne bloquent pas seulement les routes », ajoute Jaradat. « Ils bloquent les rêves, la dignité, et le simple droit humain de circuler librement sur sa propre terre. »
Avec la Cisjordanie morcelée en zones déconnectées par un réseau de béton, de grilles et de patrouilles armées, les Palestiniens affirment que l’espace pour une vie normale disparaît — un checkpoint à la fois.
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